Lors de la séance au Parlement wallon de la Commission de l’économie, de l’emploi et de la formation du mardi 18 décembre 2018, le Ministre a défendu son futur arrêté encadrant les dépenses éligibles. Sa réponse nous avait alors « glacés ».

Ce n’est pas l’existence de modalités de contrôle des subventions en tant que telle qui est contestée, mais l’existence d’une liste de dépenses éligibles exhaustive et son contenu, rigide, restrictif et contraignant à outrance. Appliqué tel quel l’avant-projet d’arrêté mettra en difficulté majeure tout un secteur en lui interdisant de générer de façon complémentaire toute recette liée à la subvention tout en refusant l’éligibilité d’une série de dépenses obligatoires. La viabilité financière des dispositifs concernés est en jeu. Par ailleurs, nous questionnons le respect de principes de fond comme la confiance, la proportionnalité ou la pertinence du contrôle envisagé à l’opposé d’une logique de financement forfaitaire défendue par notre secteur et réelle quand il s’agit de déterminer le montant de la subvention…

L’Interfédération des CISP a fait l’exercice de commenter les propos du Ministre P.Y Jeholet.

Dans ses propos lors de la séance au Parlement wallon de la Commission de l’économie, de l’emploi et de la formation du mardi 18 décembre 2018, le Ministre avance pour argument que son avant-projet d’arrêté vise à donner une assise juridique à des règles d’éligibilité déjà pratiquées par l’Administration lors des contrôles comptables qu’elle réalise. Pour l’Interfédération, c’est inexact pour nombre d’entre elles. En effet, le texte prévoit de nouvelles dispositions inconnues jusqu’alors des opérateurs. Les exemples sont nombreux : limitation des cotisations aux fédérations plafonnées à 1.000 € sauf dérogation accordée par l’Administration, plafonnement des rémunérations, exclusion des CCT d’entreprise (excepté chèques-repas apparemment), exigence d’une collecte d’informations sur le cumul d’activités et de mandats professionnels des travailleurs, demandes préalables et multiples d’autorisation auprès de l’Administration comme l’accord de l’Administration pour toute sortie culturelle du centre avec des stagiaires. Et pourquoi cibler ce type de sorties en particulier ?!

Selon le Ministre, l’application de ces règles ne susciterait pas de difficulté pour la grande majorité des opérateurs. Là aussi, l’Interfédé conteste. L’avant-projet d’arrêté suscite beaucoup de réactions parmi toutes les associations concernées par cet arrêté qu’il s’agisse des centres d’insertion socioprofessionnelle (CISP), des missions régionales (MIRE), des structures d’accompagnement à l’auto-création d’emploi (SAACE), des centres avec un agrément PMTIC ou des agences de développement locales (ADL). Il ne tient nullement compte des recommandations et propositions faites à plusieurs reprises par les représentants des dispositifs concernés par le texte.

Le Ministre reconnait que les règles figurant dans le guide ont été rédigées par un groupe de travail composé d’experts émanant tant du département Emploi que du département Formation de l’Administration, ou de l’Inspection sociale. Le Ministre avoue implicitement ne pas avoir fait appel à la collaboration des experts de terrain qui vont se voir appliquer les dispositions du guide. Il n’y a pas eu d’évaluation de ses impacts pour les opérateurs. Par ailleurs, nos experts comptables sont très critiques sur l’application du guide quant aux règles comptables. Celles-ci ne vont plus refléter une image fidèle du patrimoine des sociétés (asbl, CPAS, coopératives).

Selon P-Y Jeholet, l’avant-projet permet ainsi de rencontrer l’objectif de sécurité juridique, puisque dès l’octroi de la subvention, les opérateurs disposeraient d’un document décrivant précisément les dépenses couvertes par la subvention et la manière dont elles devront être justifiées. Pour nous, c’est le contraire qui prévaudra. L’éligibilité future de nombreuses dépenses est laissée à la seule appréciation de l’Administration ou de l’inspection. L’avant-projet d’arrêté ne prévoit à aucun moment que ces dernières doivent justifier les restrictions ou rejets de dépenses, ou que ceux-ci ne peuvent être discriminatoires ou relever d’un choix d’opportunité. Si le Ministre poursuivait sa volonté de mettre en œuvre ce guide, des délais de réponses à respecter par le SPW doivent aussi être impérativement indiqués. Par ailleurs, nous notons que pour une série de demandes d’avis préalables, il est fait mention que celles-ci doivent être formulées tant à l’Administration qu’à l’inspection. On peut dès lors s’inquiéter de la sécurité juridique dans le cas de figure probable où ces avis seraient divergents.

Le deuxième objectif de la réglementation mis en avant par le Ministre est la simplification du fait de l’existence d’un document de référence unique. C’est sans doute une des plus importantes erreurs de sa communication. En effet, le texte entrainera une surcharge de travail administratif quand il s’agira de demandes d’autorisation à répétition à formuler et étayer pour de nombreuses dépenses ou encore la constitution d’un dossier pour rendre une dépense éligible. Nous avons relevé qu’au moins 10 dispositions du guide requièrent un accord préalable de l’Administration et/ou de l’inspection. Par ailleurs, beaucoup de bénéficiaires resteront toujours soumis à plusieurs référentiels financiers relevant d’autres pouvoirs publics tels que d’autres départements de la Région wallonne, de la Fédération Wallonie-Bruxelles ou de l’Europe. Ainsi, relevons que l’Agence FSE introduit progressivement le principe d’admissibilité de coûts simplifiés forfaitaires. Or, tout projet soutenu financièrement par le FSE doit être également soutenu par un subventionnement d’un pouvoir public belge. Que devront faire les opérateurs soumis à de telles règles contradictoires ? En ce qui concerne l’Administration wallonne, un surcroit de travail important est inévitable et nécessitera un renfort en personnel, par exemple pour l’application de l’article 55 prévoyant que toute sortie à caractère culturel doit être l’objet d’un accord préalable, soit sans doute plus de cent demandes par mois à traiter…

Le troisième objectif viserait l’égalité de traitement. L’existence d’un référentiel unique constituerait « un outil nécessaire au respect de ce principe fondamental. Quel que soit le service ou l’agent effectuant les vérifications, celles-ci sont menées selon des principes et des modalités identiques ».

Si nous ne pouvons que souscrire à une telle intention, force est de rappeler à nouveau que tel qu’est rédigé l’avant-projet d’arrêté, il laisse une forte place à l’interprétation par le service ou l’agent qui contrôle et donc une marge certaine de traitement différencié : aucun critère objectif n’est précisé pour définir cette appréciation, aucune motivation de la décision de l’Administration n’est demandée, aucun délai de réponse n’est fixé et aucun moyen de recours n’est prévu.

Concernant l’interdiction pour les structures de réaliser des bénéfices, le Ministre affirme qu’on ne peut pas envisager que les activités des CISP génèrent un bénéfice, auquel cas il faudrait les qualifier d’activités économiques qui tomberaient sous le régime des aides d’État européen.

En préalable, on soulignera que l’article 7 du projet de texte prévoit que « Toute recette, produit ou récupération diverse lié à l’action est déduit des dépenses éligibles ». Contrairement à ce qui est affirmé par le Ministre, ce ne sont pas les seuls bénéfices qui sont concernés, mais bien l’intégralité des produits, même en l’absence de tout bénéfice. La déduction de tout produit ou recette des dépenses éligibles contraint de façon quasi inéluctable les associations à se retrouver tôt ou tard en déficit, et, à terme, en faillite. Cet article ne pourrait subsister que si la Région wallonne subventionnait à 100% toutes les dépenses des opérateurs ; or, nous savons que ce n’est pas le cas[1]. Dès lors, les opérateurs ont besoin de moyens complémentaires pour financer différents types de dépenses comme les gros investissements pour des formations métiers dans les CISP, pour couvrir les dépenses considérées comme non éligibles mais nécessaires à l’action, ou pour faire face à des déficits éventuels. La déduction de toute recette ou produit lié à l’action subventionnée a aussi pour conséquence de tuer l’innovation économique et sociale, ce qui va à l’encontre de la liberté d’entreprendre. Les objectifs de la subvention peuvent être cadrés mais on ne peut interdire des produits alternatifs qui permettent une liberté et une autonomie de gestion.

Sur l’aspect des bénéfices évoqué par le Ministre, on ne peut que contredire son propos : une association peut faire du bénéfice sans que cela soit lié à une activité économique ; ce bénéfice peut être dû à un don ou à toute autre source de financement non économique, cela va de soi ! Aucune réglementation qu’elle émane d’une autorité belge ou européenne ne fait référence à un tel propos. Sur l’aspect des directives européennes en matière d’aides d’Etat, les dispositifs ciblés par l’arrêté ne sont pas concernés, soit parce qu’ils sont considérés comme des services à intérêt général non économique (SIGNE) au même titre que l’enseignement par exemple, soit parce qu’ils sont considérés comme des services d’intérêt économique général (SIEG) dont ils respectent les règles suivant lesquelles le soutien financier n’est pas interdit et une aide d’Etat n’est pas incompatible. La question du respect des règles européennes en matière de concurrence n’est pas concernée ici.

Il nous apparait que le Ministre cherche à donner une caution réglementaire à ce qui est en fait une option politique qui ne dit pas son nom. La Région veut-elle oui ou non modifier son attitude et donc sa politique en matière de subventionnement ? Si elle a l’intention de renforcer les contraintes en matière de dépenses, elle doit en assumer les conséquences et prévoir de renforcer les subventions à concurrence des obligations qu’elle impose !

Le Ministre affirme que des balises en matière de salaires ont été déterminées sur base d’une analyse des barèmes appliqués au sein des structures concernées, réalisée par l’Administration, de manière à ne pas mettre les opérateurs en difficulté par rapport aux contrats de travail en cours.  C’est incorrect, l’analyse n’a pas porté sur les barèmes appliqués au sein des dispositifs subventionnés. Pour rappel, les décisions de commissions paritaires ne fixent pas de montants à respecter. Il est dès lors intellectuellement incorrect de faire jouer un rôle de plafond à une norme qui fixe au contraire un minimum en-dessous duquel on ne peut aller. Par ailleurs, l’exclusion des CCT d’entreprise ne tient pas compte de la réalité de terrain puisqu’elles existent aujourd’hui auprès de plusieurs opérateurs et sont actuellement éligibles. Si on ne peut contester à la Région, le pouvoir de légiférer en la matière, elle doit de son côté prendre la mesure des difficultés d’adaptation que cela posera aux opérateurs et leurs conséquences éventuelles sur l’emploi… A tout le moins, cet avant-projet d’arrêté ne peut remettre en question (au travers du financement) les droits acquis par les travailleurs.

Le Ministre reconnait que la version initiale du texte prévoyait l’éligibilité des charges d’intérêt sous certaines conditions. L’Inspection des finances y est toutefois défavorable, raison pour laquelle le texte a été adapté. Pour l’Interfédération, c’est reconnaitre ici de facto l’existence de dépenses non éligibles inéluctables puisque de nombreux opérateurs ont recours à une ligne de crédit faute de liquidation de la totalité des subsides sur l’année en cours des dépenses. Vu l’impossibilité de dégager une marge bénéficiaire, comment prendre en charge les coûts d’intérêts bancaires ? En identifiant des dépenses non éligibles, le Ministre contraint les opérateurs au déficit.

Quant à l’interdiction d’acquérir un bâtiment, le Ministre se justifie par des motifs légistiques auxquels il pourrait répondre politiquement s’il en avait la volonté. Les décrets en exécution desquels est pris cet arrêté limitent les subventions aux dépenses courantes et ne peuvent couvrir les investissements. Certes. Et alors ? Toute règle peut se changer, d’ailleurs c’est le cas pour d’autres types de dispositifs. En termes de bonne gestion, permettre aux opérateurs d’acquérir les bâtiments où se déroulent leurs activités augmenterait les moyens consacrés aux actions.  De plus, disposer d’un patrimoine facilite également les relations avec les organismes bancaires dans le cas de demande de lignes de crédit à négocier. Enfin, il faut souligner que le patrimoine des asbl, en cas de dissolution, doit être obligatoirement cédé à une autre asbl à l’objet social similaire. Il s’agit là à tout le moins d’un positionnement politique qui, soulignons-le, ne prévaut pas pour d’autres opérateurs subventionnés de l’insertion socioprofessionnelle comme les centres de formation professionnelle agréés par l’AVIQ.

Le Ministre garantit le caractère non rétroactif des dispositions qui entreront en vigueur suite à leur publication au Moniteur. L’Interfédération s’inquiète du fait qu’un autre avant-projet d’arrêté – celui relatif au décret CISP – prévoit bel et bien une mise en œuvre avec rétroactivité au 1er janvier 2019 des modalités de subventionnement et de contrôle. De ce fait, on peut craindre que ces règles s’appliquent déjà aux CISP à cette date même si la publication de l’arrêté « dépenses éligibles » est postérieure ou ne s’applique qu’à la date de publication. Que de difficultés en perspectives ?! Au contraire, une phase de transition, équivalente au minimum à une année comptable, devrait être prévue pour permettre les adaptations nécessaires.

Concernant le non-respect de la vie privée et du RGPD, le Ministre prétend qu’il a veillé au respect de leurs prescrits ; l’avis des autorités compétentes aurait été sollicité. Si la demande a bien été effectuée, constatons que la réponse n’a pas porté sur la conformité de l’obligation prévue à l’article 10 §2 7° de transmettre à la demande de l’Administration ou de l’Inspection sociale, pour chaque poste de travail, l’existence d’un cumul d’activités, accompagné des informations concernant la nature de l’activité cumulée, le statut du travailleur pour cette activité et le temps de travail qui y est consacré. L’Interfédération s’interroge sur le contenu de la motivation de l’Autorité belge sur la protection des données personnelles, car elle y voit une mesure non conforme…

Enfin, dans sa réponse, le Ministre réduit le principe de confiance au fait de verser les subventions dues avant la vérification de leur correcte utilisation. Pour le texte présenté par le Ministre, on ne parlera pas de confiance mais plutôt de suspicion. Cet avant-projet d’arrêté donne davantage l’impression de considérer l’opérateur bénéficiaire d’une subvention comme un fraudeur, plutôt qu’un prestataire chargé d’une mission d’intérêt général déléguée par la Région.

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En conclusion, au-delà du débat technique, la clarté doit être faite sur le choix éminemment politique que la Région wallonne se prépare à entériner. Il est temps que le Ministre arrête de limiter son argumentation à un plan strictement réglementaire qui s’imposerait à lui. Tout cadre réglementaire peut évoluer et être adapté. Les termes des choix qui s’offrent à lui peuvent en être ainsi synthétisés selon trois options :

  • Approche forfaitaire : Le Ministre, entend-il clarifier le cadre en privilégiant une simplification basée sur une logique de forfait comme plusieurs programmes de financement européen le font à travers le Fonds social européen ou l’Erasmus + ? C’est aussi déjà le cas aujourd’hui tant de la subvention des CISP qui ne couvre toutefois pas l’ensemble des coûts auxquels sont confrontés les opérateurs, à commencer par les investissements lourds ou l’ancienneté des personnels, que des dépenses ? Les CISP souhaitent poursuivre cette logique qui privilégie la confiance, l’autonomie et la créativité ; ils sont demandeurs d’améliorations développées dans le cadre de leur mémorandum qu’ils viennent d’adopter à l’occasion des élections générales de mai 2019.
  • Contrôle ciblé : La Région cherche-t-elle à limiter précisément certains types de dépenses suite aux constats de dérives observées lors de ses contrôles ? Une telle option suppose de dresser une liste des dépenses spécifiques à proscrire ou à contraindre ; liste limitée, précise, circonstanciée et concertée avec les représentants du secteur. Un tel scénario suppose un laps de temps préalable à sa mise en application pour permettre aux opérateurs de s’y adapter.
  • Nouveau cadre réglementaire strict : La Région entend-elle définir un cadre précis, rigide et strictement défini ? C’est la logique qui sous-tend l’actuel avant-projet d’arrêté semble-t-il. Si le Ministre devait persister dans cette voie, il doit pleinement assumer son choix. S’il veut maintenir l’offre de services existante des opérateurs concernés, cela suppose qu’en contrepartie, la Région couvre l’ensemble des dépenses des opérateurs, sans restrictions, et augmente en conséquence et à la hauteur des besoins, les budgets qui y sont consacrés. Si tel ne devait pas être le cas, une telle politique restrictive vise à la réduction des dépenses de la Wallonie (de par la disparition à terme de certains opérateurs ou de certaines de leurs activités) et par conséquent de l’offre d’accompagnement et de formation des publics éloignés de l’emploi.

Note de l’Interfédération

Le 10 janvier 2019

[1] Par exemple, la subvention organique des EFT ne couvre pas les indemnités de formation et frais de déplacement dus obligatoirement aux stagiaires. Les investissements ne sont pas subventionnés. Les augmentations barémiques des personnels ne sont pas couvertes, tandis que l’indexation de la subvention est bien inférieure à l’indexation réelle des salaires.