Plus de 1,3 million de Belges ayant le droit de vote n’ont pas voté ou ont voté blanc aux dernières élections de 2019. Ensemble, ils représentent 17% de l’électorat, soit le premier « parti » de Belgique. Comment redonner à la population l’envie d’aller aux urnes ? L’étude « Une démocratie sans électeurs ? Une analyse de l’abstention électorale » analyse la baisse de la participation électorale en Belgique et propose des solutions qui visent à « attirer à nouveau 500 000 électeurs aux urnes ».

Notre fédération s’intéresse et s’inquiète de la progression de l’abstention lors des élections, d’autant plus que le phénomène touche plus particulièrement les publics fréquentant nos centres. Nous nous sommes intéressés à la question à plusieurs reprises. L’étude ” Une démocratie sans électeurs ? Une analyse de l’abstention électorale ” apporte des éléments de compréhension et de réponse à la baisse de participation aux élections en Belgique. Plus de 1,3 million de Belges ayant le droit de vote n’ont pas voté ou ont déposé un bulletin de vote blanc/nul lors des dernières élections de 2019. Ensemble, ils représentent 17% des électeurs, soit le premier “parti” de Belgique, devant la N-VA. À titre de comparaison, les non-électeurs représentaient 4,93% des votants en 1977.

Comment redonner l’envie à la population de se rendre aux urnes ? Cinq professeurs de l’ULB et de la VUB ont analysé le problème et proposent des solutions. Le recul de la participation s’observe dans les trois régions, mais se présente de manière plus importante à Bruxelles et en Wallonie. Lorsque l’on compare la part d’abstentionnistes parmi les 11 circonscriptions utilisées pour l’élection à la Chambre des représentants, on retrouve les taux d’abstention les plus bas en Flandre ( Limbourg, Flandre orientale et Flandre occidentale), tandis que l’abstention atteint ses taux les plus élevés dans les circonscriptions de Liège (15%) et du Hainaut (14%) et de Bruxelles (13,6%). On l’a déjà évoqué dans nos articles précédents, les plus forts taux d’abstention dans le Hainaut ou à Liège sont liés à des facteurs  comme le revenu, la position socio-économique, le niveau d’éducation. Ils sont plus élevés dans les grandes communes urbaines ; le record revient à la ville de Bruxelles où le taux d’abstention est de 34,5%, suivi par Charleroi (17,6%), Liège (15%) et Anvers (12,8%). Il y a donc plus d’un électeur sur dix qui ne se rend pas au bureau de vote.

Une autre partie des abstentionnistes préfère déposer un bulletin blanc ou voter nul. Ils représentaient 5,4% des électeurs lors des dernières élections. ” Dans les pays où le vote est obligatoire, les électeurs choisissent de voter blanc ou nul face à l’impossibilité de s’abstenir “, peut-on lire dans l’étude conjointe de l’ULB et la VUB. La proportion de ces bulletins non valides a d’abord cru de façon quasi linéaire de 1946 à 1978. La part de votes blancs et nuls s’est ensuite stabilisée autour de 6% à 7% jusqu’en 1995. La chute du début des années 1990 vient notamment de l’introduction du vote électronique sur des ordinateurs ne permettant pas d’encoder un vote nul. Ensuite, à partir de 2003, la tendance à la hausse a repris pour atteindre 5,4% du total d’inscriptions au vote lors des dernières élections.

Selon les auteurs de l’étude, plusieurs raisons font que certains citoyens ne s’expriment pas lors d’élections : ” Il s’agit dans certains cas d’une erreur de manipulation du bulletin de vote qui aboutit à un vote nul. D’autres rencontrent des difficultés pratiques (santé, obligation professionnelle, déplacement, etc.) qui les empêchent de se rendre au bureau de vote. ” Ils distinguent aussi un groupe important qui choisit consciemment de ne pas aller voter ou de voter blanc ou nul : ” Derrière cette ” abstention de vote ” se cache principalement un désintérêt et, de plus en plus, une insatisfaction face au fonctionnement politique de nos parlements, gouvernements et partis. C’est là une problématique qu’il faut examiner plus en profondeur si nous voulons comprendre les causes de cette attitude de rejet. ” Les professeurs identifient principalement quatre groupes d’abstentionnistes :

  • Abstentionnistes protestataires : Ils ne vont pas voter pour exprimer leur rejet envers la classe politique, voire envers le système politique. Afin d’expliquer ce qui démotive ce groupe d’électeurs de se rendre aux urnes, l’aspect éthique et moral du vote, la confiance politique ainsi que les variables qui assurent une bonne représentation sont des facteurs importants.
  • Abstentionnistes de conjoncture : Ils ne votent qu’aux élections « où les enjeux sont fortement ressentis » Ceux-ci votent à certains scrutins mais pas à d’autres. Les variables qui interviennent sont, par exemple, le niveau de pouvoir auquel l’élection a lieu, le nombre de partis en présence, ou encore le caractère serré ou non de l’élection. Afin d’expliquer l’abstention par conjoncture, l’influence du contexte de l’élection et du système électoral favorisent ou pas leur implication dans le fait de voter.
  • Abstentionnistes involontaires : Ils auraient voulu voter mais n’ont pas pu le faire, pour raisons de santé ou professionnelles, ou encore car ils ont mal compris les règles organisant le scrutin. La complexité de l’inscription sur les listes électorales, les votes à distance – vote par procuration, vote postal –, le vote électronique et les jours de vote sont des probabilités fortes d’abstention.
  • Abstentionnistes aux “variables sociales lourdes” : Ce groupe est composé d’électeurs chez qui l’abstention est le produit de variables sociales lourdes liées à des situations sociales et économiques plus difficiles (accès à l’enseignement, isolement social) qui rendent plus difficiles de se socialiser politiquement et d’acquérir les connaissances et compétences nécessaires à la formulation d’un choix

Les auteurs constatent que les abstentionnistes ont des profils socio-économiques distincts des votants : “Les groupes au sein desquels les recherches en science politique ont identifié que la participation électorale tendait à être plus faible sont les suivants : les plus jeunes, les seniors, les moins diplômés, les personnes d’origine étrangère et les électeurs qui résident dans le contexte urbain”. “Le niveau d’éducation constitue, pour certaines études, le principal facteur explicatif de l’abstention. Les électeurs qui ont fait des études primaires et secondaires votent moins que ceux qui ont fait des études supérieures”. Ils sont donc généralement moins diplômés et perçoivent de moindres revenus tandis que les personnes qui votent viennent de milieux plus aisés : ” Par conséquent, les préférences politiques des abstentionnistes tendent à être plus en faveur de politiques socio-économiques plus égalitaires et redistributives. ” Si les abstentionnistes votaient, les rapports de force entre les partis seraient modifiés. Concrètement, des recherches sur le sujet menées à la fin des années 90 montrent que ” les abstentionnistes potentiels seraient en plus grand nombre partisans de la gauche socialiste, leur absence aux élections favoriserait donc les partis de centre et droite, comme le MR, l’Open Vld, la N-VA, mais aussi des partis de centre et gauche comme Groen et Écolo “, lit-on dans l’étude. Par ailleurs, il apparaît que le vote obligatoire conduit certains électeurs mécontents à voter pour des partis radicaux alors qu’ils s’abstiendraient si le vote n’était plus obligatoire. Pour les auteurs, l’abstention a un “effet négatif sur la qualité de la démocratie” : ” Les élections sont un moyen de créer et soutenir des liens de contrôle et d’échange entre citoyens et élus. […] Par son vote, l’électeur sanctionne ou récompense les élus sortants. L’abstention peut donc rendre invisibles les demandes de certains groupes, freiner les mécanismes de représentation et rompre les liens qui existent entre un citoyen et ses représentants.

Les cinq chercheurs proposent des réformes à court et à long terme pour attirer de nouveaux électeurs. Prudents, ils soulignent dans leur étude que “l’abstention électorale est un phénomène complexe. Il n’y a ni une seule cause, ni une solution universelle à ce défi pour les démocraties contemporaines, y compris pour la Belgique. Certains déterminants du vote s’ancrent dans le long terme et renvoient à des processus lents de socialisation politique ou de lien de confiance entre les électeurs, les élus et les institutions. D’autres sont plus contextuels mais peuvent difficilement être manipulés” :

  • Maintenir le caractère obligatoire du vote
  • Simplifier le processus de vote : plus particulièrement, le vote à distance est certainement un élément qui pourrait inciter davantage d’abstentionnistes à voter ; cea concerne un potentiel de plus de 500.000 personnes habilitées à voter appartenant à différents groupes cibles, tels que les électeurs réticents, les jeunes et les personnes âgées, mais aussi les personnes non belges ayant droit de vote et les Belges à l’étranger
  • Modifier rapidement les règles pour deux types d’électeurs : les Non-Belges qui peuvent voter pour les élections communales et les Belges qui résident à l’étranger. ” Il s’agit de groupes assez grands qui pourraient être convaincus si on simplifiait les procédures d’enregistrement. Pourquoi ne pas automatiquement les inscrire ? Et pourquoi ne pas rendre le vote obligatoire pour ces deux catégories, comme c’est le cas pour les autres ?
  • Instaurer des programmes de formation à la citoyenneté dans l’espoir d’intéresser à nouveau un plus grand nombre de jeunes au processus électoral.
  • Développer des tests électoraux en ligne permettant aux électeurs d’obtenir des informations sur les positions politiques des partis.
  • Promouvoir des contacts plus directs et plus fréquents avec les candidats et élus, ils augmentent l’envie de voter.
  • Renforcer la transparence concernant les décisions des élus ; elle a des effets favorables sur le taux de participation aux élections. Une meilleure représentation des groupes minoritaires contribue elle aussi à combattre le cynisme politique.
  • Stimuler la participation aux élections en permettant aux électeurs de voter en ligne, par exemple depuis leur domicile sur leur ordinateur ou à distance depuis leur smartphone. Avec l’appli d’identité itsme®, il existe déjà en Belgique une solution largement reconnue qui rend l’e-voting techniquement possible.
  • Favoriser d’autres formes de participation qui assurent la vie de la démocratie, comme les consultations citoyennes et la signature de pétitions

En 2022 un deuxième volet de leur projet de recherche s’intéressera aux nouvelles formes de participation citoyenne qui se développent actuellement au sein du système politique belge.

Source https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_abstention-electorale-record-comment-la-reduire-une-etude-ulb-vub-propose-des-solutions?id=10890665.

Télécharger l’étude à https://www.itsme.be/files/rapport_abstention_electorale.pdf .