En 2019, quatre Belges sur dix étaient en situation de vulnérabilité numérique selon le «  Baromètre de l’inclusion numérique » de la Fondation Roi Baudouin. Le tout au numérique crée des inégalités dans  l’accès aux services publics ; la Suède l’a bien compris et fait machine arrière.

Alors que le Forem se lance dans la numérisation de ses services, nous demandons des garanties pour qu’il se soucie de la moitié des demandeurs d’emploi vulnérables numériquement…

Selon le baromètre du numérique de la Fondation Roi Baudouin, la moitié des demandeurs d’emploi sont touchés par la fracture numérique

En 2019, quatre Belges sur dix étaient en situation de vulnérabilité numérique : 32 % des Belges présentaient de faibles compétences numériques et 8 % n’utilisaient pas internet. Ce chiffre, interpellant, résonne d’autant plus à l’heure où l’on sort d’un confinement de plusieurs mois lors duquel notre vie sociale, scolaire, professionnelle et citoyenne a migré en ligne. C’est tout l’intérêt du « Baromètre de l’inclusion numérique » que publie vendredi 28 aout la Fondation Roi Baudouin : si les données datent d’avant la crise, elles éclairent la façon dont celle-ci a pu être vécue par une frange de la population peu visible.

La fracture numérique compte plusieurs niveaux. Depuis des années, l’immense majorité de la population est réputée connectée. Mais avec le basculement vers le télétravail et l’école à distance imposée par la crise sanitaire, on a bien vu qu’être connecté matériellement ne suffit pas. La qualité de l’accès et les conditions de l’accès à Internet comptent aussi, tout comme les compétences nécessaires à la maitrise de ces nouveaux outils. Dans beaucoup de familles défavorisées, les enfants ont dû attendre leur tour pour faire leurs devoirs avec l’ordinateur familial. Parfois le seul ordinateur familial, quand il y en avait un, et la connexion familiale également pas top. Des recherches internationales montrent que des jeunes qui avaient un accès sporadique à Internet, quand ils vont sur Internet dans des lieux publics, doivent se dépêcher et y vont pour une question spécifique. Ils font donc une recherche très ciblée et ils n’ont pas l’occasion de développer des usages un peu exploratoires qui leur permettent de développer l’éventail de leurs pratiques, alors que les autres jeunes qui ont cette connexion permanente à la maison avec un ordinateur de bonne qualité développent ces pratiques exploratoires.

Le baromètre démontre que dans les ménages pauvres avec moins de 1200 euros de revenus par mois, il n’y a pas d’accès Internet du tout dans un cas sur trois. Sur le plan des compétences nécessaires pour évoluer dans un monde de plus en plus numérique, le baromètre observe que 40% des Belges ont des compétences numériques faibles. Mais la proportion monte à 50 % chez les demandeurs d’emploi, et même 75% chez les personnes avec des revenus faibles et un niveau de diplôme peu élevé.

Consultez toute l’étude à https://www.kbs-frb.be/fr/Activities/Publications/2020/20200827ND

Quelques chiffres marquants :

Taux de non-connexion à internet au domicile

  • Population générale 10%
  • Ménages avec plus de 3.000 €/mois 1%
  • Ménages avec moins de 1.200€/mois : 27 %

Niveau de « vulnérabilité numérique »

  • Population générale 40%
  • Ménages avec plus de 3.000 €/mois 14%
  • Ménages avec moins de 1.200€ : 75 %
  • Demandeurs d’emplois : 54 %
  • Seniors : 68%

La fracture numérique concerne aussi l’accès aux services publics

L’accès aux services « essentiels » (banque en ligne, administration, etc.) constitue un autre niveau de la fracture numérique. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de maintenir des alternatives physiques.  La Suède l’a bien compris et a pris une première mesure correctrice portant sur les paiements avec l’obligation aux  banques de fournir des services en liquide afin de lutter contre les inégalités sociales causées par les nouvelles technologies.

La Suède a été l’un des premiers pays européens à se lancer dans le paiement 100% numérique, le cash y avait quasiment disparu de la circulation. Ce passage à l’argent virtuel est même d’application dans les églises, où la traditionnelle quête a été remplacée par la possibilité de verser son obole via Swish, un système de paiement instantané par téléphone. Même les mendiants, plutôt que de tendre la main aux passants, arborent sur leur poitrine leur numéro Swish ! Or, cette quasi-éradication de l’argent liquide a comme conséquences de creuser les inégalités sociales et de renforcer la fracture numérique. En effet, l’accès aux paiements numériques nécessite entre autres, d’avoir un numéro universel d’immatriculation, un compte en banque, un domicile fixe, ce que n’ont pas les immigrés, les touristes, ou les personnes dans des situations de grande précarité. L’argent virtuel nécessite aussi de pouvoir jongler avec des outils numériques, de posséder un smartphone ou un ordinateur portable, ce à quoi les seniors n’ont pas toujours accès. Enfin, il exige aussi une couverture Internet permanente et de bonne qualité pour les transactions, ce qui est parfois défaillant dans certaines zones rurales plus reculées.

Aussi, une nouvelle loi est entrée en vigueur, les Suédois doivent maintenant pouvoir retirer de l’argent liquide – et en déposer pour les entreprises – dans un rayon de 25 kilomètres autour de leur domicile. La mesure a été adoptée à la quasi-unanimité des députés en novembre dernier et accorde un an aux banques pour s’y soumettre.

Voilà donc un des pays européens les plus avancés dans le tout numérique qui fait machine arrière…

Non au tout numérique

À l’heure où l’ambition du Forem se digitalise et est tenté de basculer à son tour vers le tout numérique, les faits et chiffres évoqués sont éclairants. Si l’outil privilégié pour dialoguer avec ses services est l’e-mail, cet outil n’est pas utilisé dans les populations qui ont un faible niveau diplôme. L’e-mail survalorise l’écrit, alors qu’elles ont généralement des difficultés pour s’exprimer sur ce mode et utilisent par exemple des applications qui mettent en avant l’oralité.

L’offre du Forem doit être adaptée aux pratiques et surtout aux compétences d’une moitié de son public : des formations, des accompagnements adaptés doivent être garantis pour ces publics, une attention aux outils numériques utilisés par les plus précarisés doit être de mise avec des applications pour smartphone basé sur l’oralité ou l’image plutôt que le texte… Nous devrons être attentifs à ce que cette dimension soit présente dans le décret relatif à l’accompagnement des demandeurs d’emploi.

Il est temps d’assurer une transition numérique inclusive. Or, on est loin du compte. Chiche que notre service public wallon de l’emploi intégrera enfin et mieux une telle priorité dans son organisation et ses pratiques ! Et mieux encore, chiche que nos députés wallons auront à cœur d’inscrire cette priorité dans le projet de décret relatif à la réforme de l’accompagnement au Forem quand il arrivera au Parlement wallon début 2021 !