CAIPS, aux côtés des Centres Régionaux d’Intégration et de différentes fédérations sectorielles et  patronales, ainsi que des représentants du Copili, ont participé à la rédaction d’un texte commun destiné à notre Ministre Mme Morreale. Cette note commune a pour objectif de souligner les inquiétudes du secteur, de proposer une série de recommandations, mais également d’organiser une rencontre avec le cabinet en 2020.

A. UNE POLITIQUE D’INTÉGRATION RÉELLEMENT ÉMANCIPATRICE

Le caractère obligatoire du parcours d’intégration a provoqué un changement de philosophie substantiel dans la mise en œuvre de la politique d’intégration des personnes étrangères. Ce caractère obligatoire ne peut intervenir qu’aux conditions suivantes qui, aujourd’hui, ne sont pas remplies : une offre de service suffisante d’une part, et une gratuité d’accès à tous les niveaux (frais de transport, frais de garde d’enfants, frais d’accès, etc.) d’autre part. Il faudra encore veiller à personnaliser les parcours pour les faire coïncider au mieux avec les besoins et le projet des personnes.

En conséquence, les signataires de la note invitent les décideurs à orienter prioritairement les moyens vers des mesures centrées sur l’intégration des personnes, plutôt que vers des mesures liées aux sanctions.

  1. Une politique réellement multidimensionnelle

Le secteur de l’intégration et de l’interculturalité invite la Ministre à développer une politique plus  proactive en matière de promotion de l’égalité et de lutte contre toutes les formes de discriminations.  Une approche réellement globale et multidimensionnelle devrait être mise en œuvre dans la conception et l’opérationnalisation de cette politique; elle doit intégrer l’ensemble des facteurs comme la formation, l’emploi, le logement, l’enseignement, la vie locale et culturelle, la santé, etc. Le secteur de l’intégration et de l’interculturalité s’inquiète d’ailleurs de la dérive consistant à tenter d’en écarter les actions liées à l’insertion socioprofessionnelle. Le secteur insiste également sur la valorisation de l’ensemble des missions décrétales qui ne peut pas se réduire uniquement au parcours d’intégration.

Plus particulièrement, une pleine prise en compte de la dimension interculturelle s’impose dans une approche qui s’intéresse tant à la société d’accueil, qu’aux populations issues de l’immigration. Le processus d’intégration implique aux moins deux parties : les personnes étrangères et d’origine étrangère ne peuvent s’intégrer que si les autochtones et la société d’accueil veillent à faciliter et à promouvoir le vivre ensemble.

  1. L’autonomie et la liberté pédagogique des opérateurs subventionnés sont incontournables

Le secteur recommande de concrétiser la charte associative dans des réglementations qui respectent l’autonomie associative, l’autonomie des pouvoirs locaux et la liberté pédagogique. Ces règles doivent être construites en concertation avec les opérateurs.

Il s’agit par ailleurs de veiller à leur assurer un cadre juridique clair et stable qui protège leur finalité sociale et garantisse leur spécificité ainsi que leur dynamique particulière en termes d’autonomie pédagogique dans la mise en place de leurs actions. Il s’agit de répondre au mieux aux besoins des acteurs au vu des enjeux du secteur et de leur évolution.

  1. La professionnalisation et la structuration du secteur en tant que priorités

Comme tout secteur émergeant et considérant les défis et missions qui sont confiés aux ILI, la question du développement des compétences de ses acteurs est primordiale. Le référentiel de formation en français récemment adopté va dans ce sens, mais nécessite cependant certains ajustements. Dans le même ordre d’idée, il convient de revoir les exigences en termes de qualifications et d’ouvrir l’axe accompagnement juridique au baccalauréat d’assistant social avec une formation spécifique en droit des étrangers.

Il importe de concerter, en amont et régulièrement, les représentants des opérateurs sur l’élaboration et/ou la modification des réglementations et processus qui les concernent.

Par conséquent, il faut soutenir la structuration de sa représentation afin de participer à la construction des politiques du secteur en privilégiant la complémentarité à la concurrence. Il importe de valoriser l’expression des réalités et préoccupations des initiatives locales de terrain, et, (y compris pécuniairement), soutenir les organes qui tendent à les représenter et défendre.

  1. Recommandations spécifiques

Les signataires de la présente note invitent les décideurs à promouvoir des politiques transversales en cohérence avec le caractère multidimensionnel de l’intégration des personnes étrangères :

  • Il importe d’articuler au mieux les nombreuses actions visant ce public spécifique avec les différentes politiques wallonnes, et de veiller à la complémentarité et la transversalité avec les compétences relevant des autres niveaux de pouvoir (Fédération Wallonie-Bruxelles, Fédéral…). Le secteur invite la Ministre à proposer une Conférence interministérielle permettant d’organiser au mieux la complémentarité des actions transversales. A titre d’exemple, dans le cadre de l’accès à la nationalité belge, le secteur souhaite une reconnaissance systématique des attestations délivrées par les ILI agréées comme preuves d’intégration sociale et linguistique. Les représentants du secteur invitent également les autorités wallonnes à se concerter avec celles de la Fédération Wallonie-Bruxelles en vue de faciliter l’accès à l’équivalence de diplômes.
  • Les opérateurs soulignent la nécessité de plus de clarté sur le paysage du secteur constitué de différents acteurs et une chronologie mieux adaptée des dispositifs à destination des primo-arrivants (PIIS, parcours d’intégration, parcours d’insertion FOREM). Il est difficile, voire incompréhensible, pour un migrant, de comprendre les différents contrats et obligations qui lui sont soumis.
  • Il faut plus de souplesse dans la temporalité du parcours d’intégration. Il serait nécessaire d’une part, de prolonger le délai actuel de 18 mois pour réaliser le parcours. D’autre part, ce délai devrait être allongé si le besoin est objectivé et démontré par l’opérateur sur base de critères clairement établis.
  • L’informatisation des données sur les personnes bénéficiaires du parcours ne doit pas autoriser une diffusion et une utilisation de ces dernières à des fins de contrôles pouvant déboucher sur des sanctions pour les bénéficiaires du parcours.
  • Obtenir un traitement équitable pour les stagiaires ILI en matière d’accès à la formation est indispensable. Les opérateurs ILI revendiquent les mêmes droits que pour les stagiaires relevant des aides du Forem en matière d’indemnité de formation, de remboursement des frais de déplacement, d’assurance ou de garde d’enfant.
  • L’axe interculturalité doit devenir pérenne au regard de la volonté du Gouvernement et de l’ensemble de la société civile de construire une réelle société interculturelle. Les opérateurs souhaitent donc que cet axe apparaisse parmi ceux qui font l’objet de l’agrément. Il en va de même pour l’axe insertion socioprofessionnelle.

B. FINANCEMENT ET CADRE REGLEMENTAIRE DES OPERATEURS DE LA POLITIQUE D’INTEGRATION DES PERSONNES ETRANGERES

La priorité est de soutenir et renforcer les initiatives et structures existantes, dont les associations d’immigrés, dans leur rôle de premier accueil, de travail de mémoire et de participation sociale et citoyenne du public cible.

Le secteur de l’intégration et de l’interculturalité recommande de :

  • Ouvrir le cadre des financements et opter pour un financement adapté aux réalités des travailleurs du terrain confrontés à un public aux besoins différenciés. En effet, actuellement, les subsides sont attribués pour la mise en place de modules, sans tenir compte des besoins des apprenants qui sont variables, mais également des temps de préparation et d’organisation des modules. Par ailleurs, l’obligation décrétale de participer aux plateformes organisées par les CRI n’est pas couverte par un financement. Par conséquent, il convient de penser un cadre réglementaire minimal pour les ILI à l’instar de ce qui est prévu pour les CRI.
  • Simplifier les modes de financement et d’assurer la transparence sur les méthodes de calcul appliquées tant pour les ILI que pour les CRI. Par ailleurs, l’administration devrait communiquer plus rapidement sur les accords officiels d’attribution des subsides et notifier aux opérateurs le délai de versement des sommes attribuées
  • Assurer une cohérence entre les conditions d’obtention d’un agrément et d’un appel à projets pour inciter et favoriser l’accès à l’agrément structurel. A cette fin, il faudra veiller à assurer une transition et un temps d’adaptation aux opérateurs désirant évoluer de l’appel à projets vers l’agrément.
  • De tendre à une certaine harmonisation des pratiques en termes d’éligibilité des dépenses et que le travail sur le manuel de subvention soit fait en concertation avec le secteur.
  • Assurer et renforcer l’accessibilité des axes de l’appel à projets aux pouvoirs locaux.
  • Supprimer les plafonds des forfaits actuellement prévus et déterminés pour le financement des axes permanences juridiques, sociales et interculturalité.

De manière générale, les représentants du secteur recommandent de faire confiance aux personnels en charge de l’encadrement, à la qualité pédagogique de leur travail et à leur expertise auprès des publics étrangers et d’origine étrangère. Il faut éviter de renforcer à nouveau les exigences de diplôme du personnel et veiller à ce qu’elles restent conformes à la commission paritaire.

Concrètement, ils proposent de :

  • Soutenir et renforcer les cours à horaire décalé pour la formation de leurs travailleurs en adaptant proportionnellement à la hausse les montants des subventions liées (coûts salariaux,…)
  • Adapter les conditions relatives aux qualifications des travailleurs compte tenu de la pénurie des formateurs.
  • Faciliter l’accès à la reconnaissance de ces qualifications pour les personnels existants.

C. RELATIONS AVEC L’ADMINISTRATION ET LES SERVICES D’INSPECTION – PROPOSITIONS

Mesures génériques et spécifiques:

Les préoccupations d’ordre administratif du secteur de l’intégration et de l’interculturalité génèrent les recommandations suivantes :

  • Une plus grande transparence et une meilleure accessibilité des textes officiels coordonnés (décrets, arrêtés, circulaires, etc.).
  • Que les items du rapport d’activités simplifié et harmonisé (RASH) évoluent et soient construits en concertation avec le secteur.
  • Porter une attention particulière aux petites et moyennes associations lors de l’élaboration de textes réglementaires imposant des obligations administratives et financières.
  • Communiquer plus rapidement sur les accords officiels d’attribution des subsides et notifier aux opérateurs le délai de versement des sommes attribuées.
  • L’instance de recours doit être interne au secteur. Sa composition doit être connue et doit faire appel à une représentation issue du secteur.
  • Favoriser une gestion administrative performante : appliquer les principes de simplification administrative, et plus particulièrement celui du principe de confiance.
  • Renforcer un partage de données simple et efficace en garantissant le respect du règlement général de protection des données (RGPD) et le secret professionnel dans les échanges avec l’administration. Formaliser légalement et mettre en œuvre systématiquement le principe “Only Once”, selon lequel une donnée déjà en possession d’une administration ne peut être demandée à l’opérateur une nouvelle fois par celle-ci ou toute autre administration.
  • Mettre en place une structure d’appui ou financer un accompagnement des opérateurs pour la mise en place du RGPD.
  • Investir davantage et prioritairement dans le développement de la Banque Carrefour d’Echange de Données (BCED) et le Cadastre de l’Emploi Non Marchand (CENM), notamment en vue d’assurer une compatibilité de ce dernier avec d’autres applications existantes et notamment le portail wallon de l’offre en alphabétisation et en FLE.
  • Permettre la collecte et le partage de données de sources authentiques entre administrations par une utilisation systématique et réglementée du Cadastre de l’Emploi Non Marchand.

Les inspections :

De manière générale, il y a lieu de rappeler que la priorité des services d’inspection ne devrait pas être centrée sur la sanction. Ils devraient avant tout assurer des missions d’information, de conseil et de prévention afin d’accompagner les opérateurs dans leur mise en conformité. Tant du point de vue financier, pédagogique et administratif, il est primordial de délimiter le cadre de l’inspection qui n’est pas celui de l’évaluation. Toutefois, plusieurs opérateurs évoquent une série de difficultés en lien avec les inspections financières menées au cours des dernières années. A notre connaissance, ces difficultés ont donné lieu à l’introduction de plusieurs recours dont l’issue fut en partie voire entièrement en faveur des opérateurs.

Par ailleurs, il convient de permettre aux opérateurs de préparer ces inspections dans des délais raisonnables et de les informer préalablement de l’objet et des modalités.

Dès lors, les recommandations suivantes, exprimées de façon non-exhaustive, permettraient d’améliorer les inspections :

  • Les différents manuels relatifs aux inspections nécessitent un travail de mise à jour. Cela passe par l’élaboration de grilles de référence et d’une définition d’un cadre légal défini afin de déterminer les éléments sur lesquels reposent les inspections et ce, en concertation avec le secteur;
  • Définir des procédures et méthodologies d’inspection claires et harmonisées communiquées préalablement aux opérateurs;
  • Toute sanction ne devrait intervenir qu’après avertissement préalable et communication d’un délai raisonnable pour se mettre en conformité ;
  • Pour les services d’inspection, définir, un cadre déontologique respectueux de la loi portant sur le respect de la vie privée et des règles déontologiques auxquelles sont par ailleurs soumis les travailleurs du secteur en matière de secret professionnel ;
  • Communiquer clairement les modalités de recours en cas de contestation d’une décision de l’administration.