On n’a pas fini d’en parler aussi de cet autre sujet. Comme malheureusement bien d’autres points. La limitation du bénéfice à 3 % dans l’avant-projet d’arrêté relatif aux dépenses éligibles suscite questions et réactions…

L’avant-projet d’arrêté relatif aux dépenses éligibles a introduit un article 22 qui prévoit la possibilité de réaliser un bénéfice limité à 3 % :

« Maximum trois pour cent de la subvention peuvent être mis en réserve au passif du bilan dans des fonds affectés afin de concourir à réaliser l’action subventionnée. Le bénéficiaire qui ne recourt pas à la faculté de l’alinéa 1er, peut mettre en réserve au passif du bilan dans des fonds affectés afin de concourir à réaliser l’action subventionnée, maximum trois pour cent du résultat d’exploitation, considéré comme étant un bénéfice raisonnable. Tout bénéfice excédentaire à ce maximum de trois pour cent sera déduit des plus prochains versements ».

1. Sur le fond

A l’encontre de l’esprit des textes réglementaires

Sur le fond, c’est injuste. Il n’y a pas de raisons objectives de limiter le bénéfice des ASBL, c’est la destination du bénéfice qui compte, tant dans l’esprit de la législation sur les ASBL que dans l’actuel arrêté CISP qui détermine à son article 21 :

« L’affectation des bénéfices générés par l’activité de production et de commercialisation d’un centre qui dispose d’une filière démarche « Entreprise de formation par le travail » est en lien avec son objet social. L’affectation des bénéfices fait l’objet d’une décision formelle de l’assemblée générale du centre ou du conseil de l’action sociale pour le centre constitué à l’initiative d’un centre public d’action sociale. La décision d’affectation est prise dans l’année qui suit l’exercice budgétaire concerné ».

Il est étonnant de constater que certains considèrent que les ASBL pourraient fonctionner dans une réalité financière bien éloignée de celle des entreprises quand d’autres, dans le même temps, mettent l’ASBL dans le code des sociétés en trouvant bien des analogies entre les deux réalités.

Un impôt déguisé et à géométrie pour le moins variable

Limiter le bénéfice des ASBL revient également à imposer leur bénéfice. Il nous semble que ce n’est pas le rôle des régions, mais bien de l’Etat Fédéral de décider si les ASBL doivent être soumises à un équivalent de l’ISOC. Cet impôt déguisé pourrait se faire supérieur aux taux de l’ISOC, ce qui est pour le moins surprenant, et affecte bien plus durement les associations qui ont des petites subventions.

Quelques exemples pour comprendre :

Prenons d’emblée l’option 2 : maximum 3 % du résultat d’exploitation peuvent être mis en fonds affectés. Cela revient à taxer le résultat d’exploitation de l’ASBL au taux de…97 %. On croit rêver ! Le texte de GDE parle de « bénéfices raisonnables ». On parlera plutôt de taxation déraisonnable !
Nous relevons également dès à présent ce qui est probablement une solide imprécision comptable. Le résultat d’exploitation est le résultat découlant de l’activité même de l’ASBL. Il s’agit des comptes 70 à 74 moins les comptes 60 à 64. Ce n’est pas le bénéfice qui lui, doit englober les comptes 75 et 65 (produits et charges financières), les comptes 76 et 66 (produits et charges exceptionnelles) ainsi que les comptes 67 (les charges liées à la fiscalité). Ainsi, on demande aux ASBL de se baser sur le résultat d’exploitation et non sur le bénéfice final. Nous osons croire qu’il y a là une erreur d’interprétation du droit comptable.

En ce qui concerne l’option 1, le taux d’imposition variera en fonction du montant de la subvention reçue. Imaginons une ASBL qui reçoit une subvention de 100.000 € et réalise un bénéfice de 10.000 €. Elle peut mettre 3% de la subvention dans un fonds de réserve, soit…3000 €. Son bénéfice est donc taxé à 70 %. Imaginons une autre ASBL qui réalise, elle aussi un bénéfice de 10.000 € mais qui reçoit une subvention de 1.000.000 d’euros. Elle peut mettre 3 % de sa subvention en réserve, soit 30.000 €. Elle pourra donc mettre la totalité de son bénéfice en réserve et sera donc taxée à…0% ! Il nous étonnerait qu’il n’y ait pas de recours juridiques devant de telles disparités !

A l’encontre de toutes les règles de gestion

Limiter à ce point la possibilité de faire des bénéfices va à l’encontre de tout ce que l’on peut apprendre dans une école de gestion. Les bénéfices cumulés et les fonds affectés sont, en pratique, la seule possibilité pour les ASBL de se constituer les fonds propres qui leur permettront d’avoir un fonds de roulement positif et de la trésorerie suffisante. Comment fera une EFT pour préfinancer ses stocks et ses créances clients sans fonds propres suffisants ? Comment fera un organisme de formation pour avoir, 12 mois durant, la trésorerie suffisante pour payer les salaires de ses travailleurs ? De facto, cette règle des 3 % signe l’arrêt de mort des ASBL qui n’ont qu’une trésorerie limitée et annihile toute velléité de nouveaux entrepreneurs sociaux à se lancer dans ce secteur.

Nous ajouterons que si cet arrêté est adopté, on peut se demander ce que feront les juges qui seraient amenés à se prononcer sur la faillite d’un CISP. Les administrateurs peuvent être reconnus responsables de la faillite, en tout ou en partie et il faudrait être irresponsable pour espérer gérer un CISP correctement dans un cadre aussi contraignant.

Une disposition injuste

Limiter le bénéfice est enfin scandaleux quand on connait les coûts salariaux que nous avons par rapport aux subventions. Les salaires, qui sont de loin le plus gros poste de dépenses, augmentent en moyenne de 3 % par an, alors que les subventions n’augmentent jamais en conséquence, quand elles augmentent ! On a donc sérieusement intérêt à travailler pour créer des moyens financiers supplémentaires et à pouvoir les mettre de côté pour les années difficiles.

Une injonction paradoxale

Cette limitation du bénéfice est une prime à l’inaction et à la mauvaise gestion. Il est incroyable qu’un pouvoir public envoie ce genre de message à ceux qu’il subsidie. En effet, à l’heure où on vante les mérites de l’action, de l’initiative, de l’autonomie, on voit un pouvoir public dire au secteur : prenez mon subside et n’en faites pas plus parce que de toutes façon, si vous produisez quelques choses en plus, je vous en reprendrai la plus grande partie.

Une mesure contreproductive

Un pouvoir public a tout intérêt à subventionner des associations solides. En effet, si, en tant qu’autorité publique, j’accorde un subside à une association, c’est pour qu’elle mette en œuvre, sur du long terme, une politique que je soutiens. J’ai donc intérêt à accorder du financement à des associations qui ont les reins solides et qui pourront faire face à leurs obligations de gestion. On l’aura compris, cette disposition du GDE fait tout le contraire et affaiblit les acteurs associatifs.

En outre, quand une association crée des ressources propres, elle le fait pour ajouter une partie de celles-ci à la subvention qu’elle reçoit. Par exemple, les fonds propres viendront couvrir un salaire d’un collaborateur qui participera à l’action sans être couvert par la subvention. Il y a donc un « effet de levier » qui tend à augmenter la qualité de l’action pour une subvention identique. Un pouvoir public aura donc tout intérêt à permettre aux associations qu’il soutient à avoir des rentrées propres qui renforcent sa propre action. Et s’il y a bénéfice une année, de plus de…3 %, et bien tant mieux, ils ressortiront plus tard pour soutenir l’action.

2. Sur la forme

Le libellé de cet article ne brille pas par sa clarté, pose des problèmes d’interprétation et pourrait s’avérer inapplicable :

  • Le choix de mettre 3% du résultat d’exploitation en fonds affectés est purement théorique. Il faudrait avoir une activité sur fonds propres bien trop importante.
  • Il est confirmé que des fonds affectés peuvent couvrir une perte ultérieure. On peut puiser dans ce fond pour couvrir en tout ou partie un déficit. Il faudra nommer correctement le fonds en question et dire qu’il est constitué pour couvrir des pertes futures.
  • Il va alors se poser la question de savoir “quelles pertes ?”. Comment va-t-on savoir, pour les poly-subventionnés, quelle perte est liée à quelle action. Va-t-il falloir nommer le fonds affecté par exemple « fonds affecté pour perte sur activités CISP » ? Cela pourrait poser quelques problèmes juridiques en cas de faillite. Imaginons qu’une association fasse faillite à cause d’une autre activité que le CISP. Le curateur va apurer les dettes qu’il peut, avec l’argent dont il dispose ; la Région Wallonne pourrait-elle réclamer ces montants ? En pareil cas, on ne voit pas trop en quoi la Région Wallonne serait prioritaire.
  • La phrase « Tout bénéfice excédentaire à ce maximum de trois pour cent sera déduit des plus prochains versements » pose question. S’agit-il aussi du seul bénéfice opéré sur les activités CISP, cela nous semble la bonne interprétation ? Ou bien s’agit-il du bénéfice de toutes les activités de l’association ? Et comment distinguer quel bénéfice s’applique à quelle activité ? S’il s’agit du bénéfice de toute l’activité, il y aura alors « concurrence » entre diverses législations édictées par des pouvoirs publics différents. Imaginons un CISP qui a aussi une activité subventionnée par la Communauté Française. Cette dernière ne dit rien sur les bénéfices éventuels. Ce CISP devra-t-il ristourner à la Région Wallonne des bénéfices engendrés par des activités soutenues par la Communauté Française ? Et que dira cette dernière en pareil cas ? La norme de la Région serait-elle supérieure (ou pas) à celle de la Communauté ?

3. Pour conclure

Alors, limiter le bénéfice à 3 %, une mauvaise idée ? Une stupidité ? Une dérive bureaucratique supplémentaire ? Sans doute tout cela à la fois… Une idée à oublier au plus vite sûrement !