Comment faire systématiquement une juste place au féminin dans nos discours sans devenir excluant parce que incompréhensibles pour les personnes fâchées avec l’écriture et la lecture ? Dès janvier, un nouveau décret imposera l’inclusivité… et le bon sens, à l’oral comme à l’écrit. Y compris au JT, en classe…

Nous nous sommes fait l’écho du débat autour de la réforme de l’écriture inclusive dans notre numéro 322 du 11 mars de cette année ; nous vous y présentions notamment le remarquable guide « Inclure sans exclure » édité par la Fédération Wallonie-Bruxelles et dirigé par Anne DISTER (Université Saint-Louis – Bruxelles) et Marie-Louise MOREAU (Université de Mons). Ce guide fourmille de mille et un trucs et ficelles pour se faire plus incluant à l’écrit. Après pas moins de treize années d’une réflexion linguistique menée par le Conseil de la langue française, le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles s’empare ce mardi 28 septembre d’un avant-projet de décret qui vise à actualiser, compléter, rationaliser et remplacer le décret de juin 1993 relatif à la féminisation des noms de métier. La mesure est portée par la ministre Bénédicte LINARD (Ecolo) qui annonce sa mise en œuvre concrète le 1er janvier prochain. L’idée est de mettre fin à l’anarchie grammaticale, de tenir compte de l’efficacité de la communication officielle (est-ce lisible, audible, inclusif et pourtant compréhensible), mais sans rien concéder aux exigences et objectifs d’inclusion des genres.

Une formule alambiquée comme « Mes.dame.sieur.s… » sera bientôt révolue suite à cette réforme. Cette évolution s’inspire du guide évoqué ci-dessus lui-même réalisé sur base d’une série de recommandations concrètes émises par le Conseil de la langue française et de la politique linguistique. Il propose entre autres cinq conseils phares applicables facilement :

  • Utilisez toujours des mots féminins pour renvoyer à une ou à des femmes.
  • N’essayez pas à tout prix d’éviter les noms masculins.
  • N’écrivez rien qui ne puisse être dit normalement à l’oral.
  • Ne recourez pas aux doublets abrégés : évitez par exemple « rédacteurs·trices ».
  • Si vous enseignez le français, changez la formulation de la règle « Le masculin l’emporte sur le féminin », dites plutôt « Le genre masculin s’utilise aussi pour les ensembles mixtes ». Dit autrement, on reconnait qu’en français, le neutre est masculin.

Bien entendu, le but est de « visibiliser les femmes », il est donc question de féminiser dans les communications officielles et formelles les noms de fonctions, de métier, de grade et de titre lorsqu’ils s’appliquent à une femme ou un groupe de femmes. Le terme “autrice” de plus en plus utilisé en est un bel exemple. Le décret prévoira la publication désormais régulière, au Moniteur, des formes féminines et des modes d’abréviation à utiliser ; les offres et demandes d’emploi, annonces de recrutement, etc., utiliseront désormais une forme non binaire du type « F/H/X ».

Toutefois, le décret préconise de recourir dans les communications à une série de solutions offertes par la langue française, sans pratiquer l’écriture inclusive et son usage controversé du point médian. Est ainsi suggérée l’utilisation avantageuse de formules doubles (“les instituteurs et les institutrices”), de mots épicènes (qui ne varient pas en genre, comme “les artistes”) ou les formes collectives (écrire “la population liégeoise”, plutôt que “les Liégeois”). Pour des raisons d’économie, d’allégement ou de lisibilité, il sera loisible d’utiliser le masculin générique, mais à la condition que la mixité de fait de l’objet désigné ait été préalablement établie de manière claire par le contexte, le texte ou le discours. Par ailleurs, l’usage de la forme passive, pointe également le texte, permet de neutraliser l’opposition de genre (remplacer la phrase: “Les abonnés peuvent renouveler leur carte en s’adressant à…” par “La carte d’abonnement peut être renouvelée auprès de…” par exemple).

Une des faiblesses du décret de 1993 était de ne pas donner de ligne de conduite concrète aux administrations. Si elle ne peut bien entendu pas s’appliquer aux citoyens dont elle briderait le principe inaliénable de liberté d’expression garanti par la Constitution, la réforme répondra à cette lacune et  précisera quelles institutions (pouvoirs, juridictions, associations…) seront concernées. Cette fois, le décret de 2021 soumettra clairement à ces règles : communes, provinces, institutions reconnues ou subventionnées par la Communauté française (associations, établissements d’enseignement, opérateurs culturels, médias audiovisuels et services de partage de vidéos, mouvements sportifs, maisons de justice, juridictions, institutions actives dans l’aide aux personnes et à la santé), parlement, gouvernement et organes consultatifs seront concernés.

Pour ces autorités, la future réglementation s’imposera pour les communications officielles ou formelles, tant écrites qu’orales, quels qu’en soient les supports, qu’elles soient internes ou externes. Cela concerne notamment les actes normatifs et circulaires, les correspondances et mails, les supports de cours, l’enseignement, les diplômes, les communications et discours, les contrats, marchés et actes à portée individuelle, ou encore la production propre des éditeurs de services de médias audiovisuels et de service de partage de vidéos. Le projet actuel de décret vise aussi toute la « production propre » et s’applique donc au JT de la RTBF, au journal de classe, au bulletin d’un centre culturel ou aux communications tant internes qu’externes des administrations par exemple.

Le projet de décret avait l’ambition de s’appliquer à toute autorité administrative active sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Plus que probablement, ce texte deviendra donc une référence dans tous nos centres affiliés et au sein de la fédération, même si nous ne sommes pas subventionnés par la Communauté française… Un bémol toutefois… Le Conseil d’Etat a cependant fait remarquer que le texte ne peut s’imposer aux autorités et institutions situées dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale puisqu’elles ne ressortissent pas exclusivement à la Communauté française. Elles y échapperont donc probablement…

Le texte a été approuvé mardi 28 septembre à l’unanimité des membres de la commission. Tout en soutenant l’initiative, l’opposition cdH a toutefois déploré que le décret ne soit qu’incitatif, aucune sanction n’étant en effet prévue en cas de non-respect de ces consignes d’écriture. Le projet devrait être approuvé sous quinzaine par la plénière du Parlement et être ainsi d’application pour début 2022 comme le souhaite la ministre LINARD.