Alors que la Ministre MORREALE s’apprête à déposer une note d’orientation TZCLD au Gouvernement, une trentaine d’affiliés ont participé au webinaire organisé par la fédération le 18 juin dernier, avec comme personnes ressources Julien CHARLES (CESEP), impliqué dans plusieurs évaluations, et Paul TIMMERMANS (MIREC, IBEFE Hainaut-Sud), très actif sur le terrain. Se référant aux expérimentations françaises, ils ont tracé et mis en débat les perspectives de la transposition de TZCLD dans notre région. Les échanges ont en particulier abordé le positionnement des acteurs de l’ISP par rapport à TZCLD, pour conclure à la complémentarité d’approches différentes.

Le projet wallon quasi prêt à sortir des cartons

Interpellée ce 22 juin en séance publique de la Commission de l’Emploi, de l’Action sociale et de la Santé, la Ministre MORREALE a précisé ses intentions concernant TZCLD :

« Mon intention est effectivement de présenter une note d’orientation au Gouvernement avant les vacances parlementaires. Le dossier avance bien. En effet, la question du financement des expérimentations a pu être traitée dans le cadre du Plan de relance wallon. Les questions techniques relatives à la sécurité juridique sont en passe également d’être suffisamment clarifiées pour pouvoir présenter la note d’orientation ainsi que le rapport d’évaluation. Ce rapport d’évaluation s’appuie notamment sur l’évaluation des expérimentations françaises, vous y avez fait référence, et associer des acteurs français. Le projet wallon consistera à financer des projets pilotes d’expérimentations inspirées de territoires zéro chômeur de longues durées français dans un cadre suffisamment souple pour pouvoir permettre l’innovation sociale et l’émergence de projets diversifiés, adaptés aux réalités, aux dynamiques locales. Si le cadre est volontairement souple permettant de ce point de vue l’émergence de modèles différents. La philosophie qui est attendue reste la même, à savoir que le projet devra porter sur un territoire précis de maximum 15 000 habitants. Il devra s’agir d’une dynamique bottom-up et fédératrice avec la mobilisation des acteurs locaux. L’objectif sera de toucher tous les publics durablement privés d’emploi, en particulier ceux qui semblent être insuffisamment accompagnés par les dispositifs existants, soit les personnes privées d’emploi depuis cinq ans en priorité. La logique d’action sera de partir de la personne pour essayer de créer un emploi correspondant à ses aspirations et à ses compétences, c’est-à-dire de renverser l’approche adéquationniste par rapport au marché de l’emploi. Enfin, il s’agira de créer une activité socialement utile qui réponde à des besoins non couverts et non concurrentiels sur le territoire. J’envisage une période d’expérimentation de cinq ans, ce qui me semble être la période nécessaire pour pouvoir en tirer des conclusions pertinentes. Nos estimations tablent actuellement sur une vingtaine d’expérimentations en Wallonie, ce qui semble être un nombre intéressant. Souvenez-vous, en début de législature, on avait imaginé en avoir trois. Ici, le levier de la relance vient de manière très utile pour pouvoir amplifier ce type d’expérimentation qui a donné des résultats encourageants en France, puisqu’ils ont décidé de les élargir sur l’ensemble des territoires. Cela permettra aussi de comparer la diversification des projets, des modèles qui auront émergé, en laissant à chacun la souplesse que j’évoquais en préambule. En termes de calendrier, l’intention est de présenter cette orientation avant les vacances ; ensuite, de lancer un appel à projets en septembre prochain, de sélectionner les projets pour la fin du premier trimestre 2022 et permettre ainsi aux projets de démarrer dans le courant du deuxième trimestre 2022.»

Le Député DISABATO, à l’origine de l’interpellation, a salué deux bonnes nouvelles : la période d’expérimentation envisagée (passant de 3 à 5 ans) et le volume de projets qu’il est prévu de soutenir (passant de 10 à 20). Il a par ailleurs rappelé la nécessaire consolidation des choix relatifs à la taille du territoire (compte tenu de l’approche exhaustive préconisée auprès des publics cibles), au cadre juridique pour la création des emplois et des activités (à défaut d’Entreprises à But d’Emploi (EBE) à la française) et aux modalités de subventionnement (la mesure étant à cheval sur les compétences régionales et fédérales).

Certains arguments des porteurs d’initiatives TZCLD en Wallonie ont donc été entendus par la Ministre. Dans l’espoir d’autres avancées, le groupe du Sud-Hainaut demande à être à nouveau consulté avant la finalisation de l’appel à projets. Histoire de parfaire une concertation qui aurait selon lui souffert de la crise du Covid.

Pour rappel, le Plan de relance wallon et la future Programmation FSE intègrent TZCLD. Reste à clarifier les conditions concrètes. Pour Paul TIMMERMANS et Julien CHARLES, des moyens FSE pourraient être adéquats pour financer la mise en place des comités locaux, la construction du consensus entre les parties impliquées et l’encadrement des projets. Des budgets publics locaux venant idéalement les compléter. Quant aux emplois à créer, ils ne pourront l’être qu’avec un subventionnement substantiel des autorités compétentes.

La vigilance reste aussi de mise par rapport à la sécurisation du libre choix des personnes privées durablement d’emploi. Selon des sources officieuses, le Forem serait enclin à concentrer celles qui s’engagent dans le processus TZCLD chez le même Conseiller-référent et à les exonérer en matière de disponibilité (par une disposition de type F70bis.). Sa position resterait plus floue quant à leur latitude pour faire marche arrière et quitter le cas échéant leur emploi.

Enseignements des expériences de terrain

Lors du webinaire, Paul TIMMERMANS et Julien CHARLES ont livré une analyse fine des principes et conditions de mise en œuvre de TZCLD, qu’ils situent dans le spectre plus large des               « utopies concrètes » (Acteurs des temps présents, Intervention sur l’Offre et la Demande (IOD)…). Partant des acquis de l’expérimentation française, ils ont pointé divers enjeux pour sa transposition de notre côté de la frontière.

Parvenir à toucher l’intégralité des personnes privées durablement d’emploi pour leur proposer un CDI, c’est possible sur un micro territoire. Lors de la phase expérimentale en France (2016-2020), trois des dix projets ont atteint cet objectif d’exhaustivité. D’où l’importance de se limiter à des zones de quelques milliers d’habitants.

Au total, 1050 travailleurs ont été engagés au terme du processus, auxquels ajouter 150 emplois induits. Des études avec échantillons comparatifs indiquent que 50% d’entre eux n’auraient pas décroché de poste ailleurs et qu’un tiers seulement aurait eu accès à un CDI. Dans les premiers temps, on observe une forme de sélectivité, mais ensuite les profils se diversifient de façon progressive. Au plan des situations individuelles, les vrais changements de vie pérennes s’amorcent après 3 ou 4 ans (il faut par exemple du temps pour apurer des dettes antérieures quand on est au SMIC).

Ce sont des Entreprises à But d’Emploi (EBE) spécifiquement créées qui salarient les personnes. Elles sont très subsidiées (seuls 30% du chiffre d’affaires sont auto générés). Selon nos invités, ces structures sont un élément clé qui confère au dispositif tout son sens. Tout d’abord, elles sont à but inversé : les envies et ressources des personnes engagées déterminent l’orientation des activités. Ensuite, elles sont propices à la dimension collaborative : on ne place pas les nouveaux travailleurs en entreprise concurrentielle et on évite que des entreprises sociales existantes se disputent des subsides. A priori, le projet wallon ne prévoit pas d’équivalent aux EBE, misant sur les dispositifs actuels. Une configuration bien différente que regrettent personnellement Paul Timmermans et Julien Charles. S’agissant des activités, pour maitriser le risque, réel, de concurrencer des emplois existants (notamment publics), ils estiment que la vigilance devra s’exercer à l’échelle du Bassin.

Non moins d’une dizaine d’initiatives ont déjà vu le jour sur des territoires wallons. Dans le sud de la province de Luxembourg, les acteurs de plusieurs communes se sont coalisés et bénéficient du soutien de l’intercommunale Idélux. En région carolorégienne, la FUNOC, le CPAS et désormais les syndicats sont, entre autres, impliqués dans le projet. A Bruxelles, le schéma est plus institutionnel vu le rôle tenu par Actiris et par des académiques. Malgré cette diversité et des stades de développement variables, le point commun est la vitalisation locale.

Parcours en ISP et TZCLD : continuité, antagonisme ou complémentarité ?

L’idée forte qui ressort du webinaire suggère de considérer  l’ISP et TZCLD comme des démarches tout à fait distinctes bien que partageant des finalités communes.

Le parcours dans l’ISP suppose l’acquisition de compétences de base, transversales ou techniques accompagnées d’une évolution personnelle positive en termes de confiance et d’emprise sur l’environnement. L’accès à l’emploi peut en constituer une issue souhaitable ou possible. En composant alors avec la faiblesse de l’offre d’emplois que l’on sait…

Selon nos deux invités, TZCLD renverse cette perspective, implique un changement de regard. La formation n’est pas un préalable. Réaliser le Droit à l’emploi est premier. Une fois en CDI, la personne se prend en charge, transforme sa situation en quelques mois. De la formation continuée peut bien sûr s’ensuivre.

En réaction à cette conception, des participants responsables de centres soulignent les cas très fréquents où il convient de mettre en place certaines conditions fondamentales avant d’être éventuellement prêt pour l’emploi. D’autres insistent sur le fait que les stagiaires apprécient le cadre rassurant en EFT et ont des craintes vis-à-vis du monde du travail.

Pour Paul TIMMERMANS, en effet « on peut penser que le marché n’est pas prêt à embaucher des gens pareils… ou bien retourner la chaussette ! » Et Julien CHARLES de citer des études démontrant que ce même public réagit favorablement à la dynamique TZCLD. Puis d’ajouter qu’elle est l’occasion de créer un autre type d’emploi, répondant mieux aux aspirations des nouveaux travailleurs et à la demande sociétale que ne le font les emplois générés par l’économie capitaliste (professions jugées essentielles par la population elle-même, non nuisibles pour l’environnement…). En un mot, TZCLD serait une façon de « répondre à l’urgence politique de viser (enfin) un horizon enviable ». L’implication symbolique dans l’emploi y apparait plus forte que dans des dispositifs actuels (en Article 60 par exemple) où l’on note comparativement un manque d’émancipation et de sécurisation matérielle. Autre indicateur intéressant : bon nombre de travailleurs d’EBE rejoindraient l’associatif local.

Au lancement du projet, la vocation à l’exhaustivité de TZCLD suppose un travail de rue pour atteindre les désaffiliés non repris dans les bases du Forem ou des CPAS (sans abri, sans papiers…). Et des personnes privées durablement d’emploi doivent être actives au cœur des groupes le plus tôt possible.

Pour nos invités, les CISP ont un savoir-faire précieux pour accompagner l’émergence des envies et compétences des personnes privées durablement d’emploi. En témoigne l’initiative actuelle TZCLD dans le Sud-Luxembourg (zone autour de Meix-devant-Virton) où ils travaillent la parole des stagiaires.

Du point de vue des deux intervenants, un centre d’ISP ne peut être partie prenante pleine et entière d’un comité local TZCLD qu’à condition d’être localisé dans le périmètre géographique concerné. Dans le cas contraire, il pourrait par exemple tenir un rôle de relai pour ses stagiaires qui y résident ou être sollicité comme partenaire pour la formation des travailleurs engagés.

Un scénario très probable en Wallonie est que des acteurs de l’ISP (CISP, ALE, IDESS, CPAS…) portent la création d’EI, de coopératives ou, pourquoi pas, de statuts Article 60 en CDI ; suivant une démarche déjà pratiquée (notamment par nos affiliés Gavroche, Secos ou Droits et Devoirs) en vue de créer des débouchés pour les stagiaires sortants. Ce ne sera pas un schéma fidèle à l’esprit originel de TZCLD, mais n’en constituera pas moins un levier de création d’emplois pour nos publics.

Les projets pilotes qui seront sélectionnés et démarreront en 2022 pourront ainsi être de deux types : ils proposeront soit une continuité à la trajectoire formative, soit une insertion directe dans l’emploi plus authentiquement TZCLD. Les deux approches ont chacune leur raison d’être. Tout simplement car des personnes passent entre les mailles du filet. Nos invités notent l’importance, lors de ce type d’échanges entre intervenants du champ social, de mettre en avant les ambitions communes et la complémentarité tout en soulignant la nature différente des moyens mobilisés. La multiplicité est une bonne chose si elle s’accompagne de lisibilité.