Les médias se sont intéressés en cette période de fin d’année, aux personnes le plus en difficulté de trouver un emploi en Wallonie. Va-t-on vers un statut nouveau d’« inemployable » ? Et qu’en penser ?
« Quelles réponses face au chômage de longue durée? On a beau tourner les chiffres dans tous les sens, revenir sur les plus de 50 mois consécutifs de baisse du chômage en Wallonie, et même crier victoire quand le nombre de demandeurs d’emploi passe temporairement sous la barre symbolique des 200.000 personnes cet été, derrière les statistiques, il y a la réalité du chômage de longue durée. Elle est tenace! (…) Il n’y a évidemment pas de solution miracle. Cela se saurait! Mais à partir du moment où on entend depuis des années les mêmes mots tourner en boucle comme accompagnement, formation, adéquation entre le monde de l’enseignement et celui du travail, on ne voit toujours pas éclore une solution structurelle pour résoudre la problématique du chômage de longue durée ».
Non, vous ne lisez pas un extrait de discours du président de CAIPS, mais bien l’édito de « L’Écho » du 27 décembre. Voilà un grand quotidien qui s’intéresse à une problématique qui mobilise et inquiète notre secteur depuis…près de quarante ans. On n’arrête pas de le mettre en évidence : si la situation du chômage s’améliore dans les trois régions du pays, le non emploi d’une large frange particulièrement fragilisée de la population, lui, reste en rade. Et c’est malheureusement particulièrement marqué en Wallonie. Selon les chiffres du Forem : 77.636 personnes sont sans emploi depuis au moins deux ans. Plus largement, sur les 205.406 demandeurs d’emploi inscrits au Forem, 117.127 personnes sont reprises dans les statistiques depuis au moins un an. Plus de 50.000 d’entre eux ne disposent que du diplôme secondaire de base, tandis que 42.000 autres ne présentent que le certificat de deuxième degré du secondaire. Or ces chiffres ne prennent pas en compte les personnes non inscrites comme demandeurs d’emploi au Forem, on pense par exemple aux malades en processus de reclassement, aux primo-arrivants, à des personnes dépendant d’un CPAS, sans compter les publics qui ne maitrisent pas la lecture ou l’écriture,…
Si le chômage recule en moyenne de près de 5% par an en Wallonie depuis 2015, la situation des publics les plus éloignés de l’emploi ne s’est guère améliorée. Les 3 régions sont confrontées à un public présentant des problèmes de nature médicale, mentale, psychique ou psychiatrique, combinés à des problèmes sociaux. Ces allocataires sociaux représentent entre 15 et 20.000 demandeurs d’emploi en Wallonie selon le Forem. Plus en réalité. Pour le Forem, parmi ces personnes, il convient de distinguer les personnes qui restent mobilisables pour un emploi de celles qui ne le sont pas. Parmi les plus fragilisés se retrouvent les publics présentant des problématiques multiples de type psycho-médico-social entravant fortement l’insertion professionnelle. Malgré un accompagnement spécifique, elles restent « non mobilisables », soit parce que les problématiques rencontrées sont telles qu’il n’a pas été possible de rapprocher la personne du marché de l’emploi, soit parce que les compétences encore présentes, mais fortement limitées, ne permettent pas d’intégrer le marché de l’emploi même avec un poste adapté. Face à ce constat, les services publics de l’emploi des entités fédérées et les instances fédérales concernées cherchent depuis plusieurs à s’accorder sur des critères permettant de déterminer cet éloignement et sur une solution structurelle quant au statut et type de revenu à attribuer à ces personnes afin qu’elles ne se retrouvent plus dans la demande d’emploi. Ces modalités font actuellement l’objet d’une concertation avec le Ministre fédéral de l’emploi.
Le ministre wallon de l’Emploi le déclare dans « L’Echo » du 27 décembre : certains chômeurs sont à ce point éloignés de l’emploi qu’ils pourraient, à l’avenir, être reconnus comme « inemployables ». Ce statut pourrait ressembler à celui envisagé actuellement pour les MMPP, cette appellation désignant les 15 à 20.000 personnes rencontrant des problèmes de nature médicale, mentale, psychique ou psychiatrique évoquées ci-dessus. Ceux qui seraient ainsi qualifiés, seraient protégés des sanctions liées aux politiques d’activation. « Je suis partisan de leur donner un statut d’ordre social, explique le ministre dans « L’Echo ». Il est évidemment hors de question de mettre ces personnes sur le côté, mais à partir du moment où tous les efforts ont été menés en Wallonie pour tenter de les réintégrer, il faudra peut-être aller plus loin que la dégressivité des allocations de chômage. » Ces demandeurs d’emploi, jugés non mobilisables, seraient ainsi exonérés de recherche active d’emploi. Ce qui pose alors la question de l’égalité de traitement : comment justifier l’existence de régimes particuliers quand d’autres chômeurs se verront sanctionnés ? « Il n’est évidemment pas question de faire basculer 1/3 des chômeurs dans ce statut », prévient Pierre-Yves Jeholet.
Devant cette problématique de l’éloignement du marché du travail, le ministre entend lancer le dossier unique dès le premier semestre 2019. « Ce dossier unique pour les demandeurs d’emploi va permettre aux différents organismes comme les Mire, ALE, Maisons de quartiers, Forem,… de suivre le parcours, les compétences du demandeur d’emploi. On pourra ainsi mieux orienter les personnes par rapport à leur profil et ainsi mieux les aider à se réinsérer. » « En Wallonie, il y a un travail de longue haleine à mener en fonction des différents profils. (…) On pourra ainsi mieux orienter les personnes par rapport à leur profil et ainsi mieux les aider à se réinsérer ». On se permettra de relever que le ministre confond ici les moyens et les objectifs : ce n’est pas la façon de gérer le dossier des demandeurs d’emploi par le Forem qui va modifier leur situation…
Dans une interview accordée à « La Libre », Marie-Kristine Vanbockestal, n°1 du Forem, s’est montrée intéressée par la proposition de créer un statut de personne « non mobilisable » à partir du moment où celle-ci deviendrait « inemployable ». Elle pose toutefois une question de fond quand elle se demande « comment objectiver ce statut ? » Elle y évoque elle aussi le projet discuté au niveau fédéral pour les MMPP. Elle estime qu’actuellement, près de 10 % des demandeurs d’emploi wallons pourraient être concernés par ce statut d’inemployable.
Autre difficulté majeure, le ministre dans son interview à « L’Echo » évoque la dimension communautaire du dossier : « Nous avons mis en place un statut non mobilisable pour ces personnes en les exonérant de recherche active d’emploi et de contrôles. La Flandre bloque le dossier mais nous entendons avancer. Dans le cadre du chômage de longue durée, on pourrait éventuellement élargir le statut non mobilisable, mais il n’est évidemment pas question de faire basculer 1/3 des chômeurs dans ce statut ». Le ministre évoque la question communautaire très sensible en Belgique. A cet égard, dans une interview à « L’Echo » du 4 janvier, la directrice de l’office wallon de l’emploi, Marie-Kristine Vanbockestal, estime qu’il convient de se préparer pour une éventuelle 7e réforme de l’État, « même si on ne peut pas prévoir si et quand elle se concrétisera », précise-t-elle. Il subsiste, selon elle, une demande flamande de scinder les allocations de chômage et de transférer la problématique des chômeurs non mobilisables, c’est-à-dire les chômeurs de longue durée. Or, on sait que cette catégorie de chômeurs est davantage représentée en Wallonie. Ce stock de chômeurs de longue durée provient du fait que c’est un public souvent âgé, peu qualifié et au chômage depuis longtemps. « Que fait-on de ces personnes? Ce sont des choix politiques qui devront être posés” », estime Vanbockestal
Le débat est ouvert et n’a encore débouché sur aucune prise d’attitude claire. Ce qui est en jeu ici est d’abord et avant tout le maintien des droits sociaux de personnes particulièrement fragiles. La question de leur donner un statut spécifique est essentielle, il importe d’y répondre, il y va de leurs conditions de revenus. Mais on ne peut éluder un niveau de réflexion éthique. Il est délicat de définir des critères « d’inemployabilité » qui ne peuvent que varier en fonction de la personne elle-même d’une part, et de l’évolution de la situation socio-économique de son environnement d’autre part. Il serait inadmissible qu’une initiative débouche sur la mise à l’écart définitive de citoyens, alors que dans le même temps, des dispositifs sociaux d’ordre divers tentent de renforcer l’intégration des personnes les plus marginalisées…
On terminera sur une note positive en se réjouissant qu’un débat de fond semble s’ouvrir sur la question de l’intégration professionnelle des publics les plus éloignés de l’emploi. Gageons qu’il ne s’agit pas de meubler une actualité politique toujours plus calme au moment des fêtes de fin d’année…