Dans une carte blanche diffusée le 12 avril par Le Soir, Nathan CLUMECK, Marius GILBERT et Leila BELKHIR remettent en cause la stratégie actuelle de gestion de la crise sanitaire. Ils proposent un plan B : on a des masques, des tests, des vaccins, et une meilleure connaissance scientifique de la situation, arrêtons les fermetures aveugles par secteur et évaluons les risques de manière particulière, lieu par lieu, pièce par pièce. Le principe serait plutôt de fonctionner avec une évaluation du risque local et un label “Covid safe”. Alors, révolution en vue dans les modalités de gestion de la crise sanitaire ? Sans doute, mais pas à court terme…
Dans une carte blanche diffusée le 12 avril par Le Soir, Nathan CLUMECK, Marius GILBERT et Leila BELKHIR remettent en cause la stratégie actuelle de gestion de la crise sanitaire. Ils proposent un plan B. S’agit là du premier signe d’une évolution majeure dans la crise sanitaire ? Ces trois protagonistes font partie des experts écoutés et sont particulièrement médiatisés. Le trio s’inquiète du ras-le-bol ambiant avec des restos clandestins, des scènes parfois violentes au Bois de la Cambre, des déclarations de désobéissance dans le secteur culturel : « Le risque est grand d’une escalade dans la répression de la part des autorités qui persisteraient à appliquer les mêmes mesures indistinctes », écrivent-ils.
Que proposent-ils ? Ils remettent en question le modèle actuel de gestion de la crise sanitaire basé sur des « mêmes mesures indistinctes » : quand les chiffres de l’épidémie grimpent, le Comité de concertation (Codeco) prend des mesures pour fermer certains secteurs ou en restreindre l’accès, quand les indicateurs s’améliorent le même Codeco prend le chemin inverse et décide de rouvrir petit à petit, toujours secteur par secteur. Les signataires mettent en cause cette approche de « stop-and-go », secteur par secteur. « La grosse limite du dispositif actuel, c’est qu’à l’intérieur des secteurs, il y a une situation de risque différente. Chez un coiffeur qui prend bien soin de ventiler en ouvrant fenêtres et portes, où tout le monde porte le masque, le risque est plus faible que pour un soin du visage d’une heure, sans masque, dans une cabine fermée. Or aujourd’hui, ces deux activités font partie de la même catégorie », explique Marius Gilbert. « Il est temps de sortir de cette logique d’ouverture ou de fermeture aveugle. Lors du premier déconfinement, on n’avait pas le temps de réfléchir autrement. Mais un an plus tard, on a des masques, des tests, des connaissances scientifiques bien plus larges sur les méthodes de transmission du virus. »
Leur idée est donc d’opter pour une stratégie au cas par cas centrée sur un examen lieu par lieu, situation par situation. On quantifierait et qualifierait le risque selon la qualité de la ventilation, la possibilité de porter le masque, la durée d’exposition… Chaque lieu serait analysé pour ce qu’il est, et tenterait d’obtenir une sorte de label « Covid safe » pour pouvoir ouvrir. Tant dans le secteur de l’Horeca que dans le secteur culturel ou celui des métiers de contact, il est possible d’adapter les lieux et les protocoles de manière à permettre une réduction considérable des risques de transmission. Cette manière de faire est actuellement déjà en test à l’étranger, mais aussi chez nous. On citera par exemple nos voisins néerlandais qui ont testé une soirée dansante “corona proof” à Amsterdam avec 1 300 participants répartis en cinq bulles et équipés de capteurs ou encore, un match de foot avec pas moins de 5 000 spectateurs lors de la rencontre Pays-Bas-Lettonie le 27 mars. Chez nous, à Bruxelles, Le Roy d’Espagne, célèbre établissement de la Grand Place, va tenter un test grandeur nature grâce à un système de désinfection de l’air capable d’épurer 1 200 m³ d’air par heure.
Concrètement, à quoi ressembleraient ces lieux « Covid safe » ? Il existe aujourd’hui un consensus scientifique assez net sur quatre facteurs qui contribuent à augmenter le risque de transmission. Le risque de contamination augmente si l’espace est fermé et peu ventilé, si la durée d’exposition est longue, s’il n’est pas possible de porter de masque et si les personnes présentes parlent (ou crient). Partant de ce consensus, on peut mieux faire évoluer les protocoles. Par ailleurs, il importe de tenir compte d’autres éléments importants dans la définition des critères d’homologation comme réserver préalablement sa place via une application pour smartphone. Il s’agit ici de limiter le nombre de personnes à l’intérieur, mais aussi, avec le système de badge, de voir qui est venu et quand, ce qui facilite le tracing en cas de personne déclarée ultérieurement positive au Covid. De même, il faut éviter le plus possible qu’un malade présentant des symptômes ne puisse accéder aux installations. Pour cela, il faut imposer à l’entrée un test ou la vérification de la température corporelle… Autant de nouvelles modalités auxquelles il nous faut réfléchir pour de futurs ajustements des pratiques de protection et de prévention dans nos centres…
Les trois experts proposent que les communes soient chargées de conseiller et vérifier le respect du label « Covid safe », un peu comme on impose déjà aux pompiers de vérifier la sécurité incendie dans les lieux publics. Dès le lendemain de cette publication, par la voix de son Président, Maxime DAYE, l’UVCW a répondu favorablement à cette idée de voir les communes jouer un rôle dans le conseil, l’aide et la vérification de labels « Covid safe » : « Les communes, les Bourgmestres sont, depuis toujours, les gardiens de la sécurité et de la salubrité publiques, mamelles essentielles de l’ordre public. Les communes contrôlent déjà l’adéquation des lieux publics aux normes incendie, pourquoi pas demain vérifier les normes « anti-Covid ». D’autres outils locaux comme les ADL (pour le secteur économique), les centres culturels, les centres sportifs locaux, les offices du tourisme… peuvent aussi aider localement au contact personnalisé de terrain et à l’accompagnement du citoyen. L’idée d’aider à la régulation à court, moyen et long terme est un message positif et relève bien de l’ADN des communes ».
La proposition pose des questions pour une concrétisation sur le terrain. Est-ce que toutes les communes auront les moyens de se doter d’un expert ventilation qui peut vérifier chaque protocole ? Et ces protocoles, comment les élaborer en tenant compte des spécificités de chaque situation sans tout complexifier ? Par ailleurs, fixer des normes peut créer différents régimes au sein d’un même secteur, les questions d’inéquité ne vont pas diminuer… Quoi qu’il en soit, vivre avec l’incertitude reste une constance. A l’heure de l’accélération de la campagne de vaccination, n’est-il pas temps d’apprendre à vivre différemment avec le virus ?
A ce jour, les autorités se sont montrées encore timides face à toute évolution significative ; mais tout indique que nous sommes à un tournant. Jeudi 23 avril, questionné par les députés sur sa gestion de la crise sanitaire, le Premier ministre, Alexander De CROO, a tenu à souligner que l’on s’orientait vers une “nouvelle phase de la gestion de la crise” : “Lors de la première vague, la réponse c’était d’arrêter la société. Pour la deuxième vague, on a ciblé certains secteurs. Pour la troisième vague, nous visons davantage une gestion de risque qui doit permettre aux activités de reprendre et de se poursuivre, même si la situation épidémiologique venait à se détériorer”.
Une nouvelle vision stratégique de la crise sanitaire est en gestation et est à suivre avec attention à l’heure de l’accélération des vaccinations… Il ne faut toutefois pas s’attendre à des changements à court terme, comme l’ont encore confirmé les décisions prudentes – voire décevantes – des derniers Codeco’s. Tout indique qu’il n’y a pas d’adaptation substantielle des politiques à attendre de la part des autorités à court terme, on est donc loin du changement de paradigme, même s’il est timidement amorcé en vue du « tournant » de l’été que l’on nous annonce ou que l’on espère…